Le Retour à la Sensibilité à la fin du XVIIIème

Publié le par M.PIROU-LANGLAIS

Diderot demandait déjà à l’œuvre d’art d’émouvoir avant tout. Rousseau confirme cette tendance, comme le prouve le succès de La Nouvelle Héloïse, le plus gros tirage du siècle. Dans toute la seconde partie du XVIIIème siècle, à côté des théories sur le « bon sauvage » et sur le retour à la Nature, se développe une réhabilitation du cœur. L’émotion est ce qui donne du sel à la vie et suscite la création. L’article Génie de l’Encyclopédie voit par exemple l’inspiration comme un instinct puissant, sentimental, qui emporte l’imagination. Sous l’influence de Condillac et de son sensualisme, les écrivains considèrent que la sensibilité est un moyen de connaissance supérieur. Le Préromantisme a commencé.

 

Il y a là rupture avec la notion classique de beauté, fondée sur le travail et la raison ou le bon goût, au profit d’une recherche de l’enthousiasme, de l’improvisation et de l’épanchement passionné. On parle alors d’esthétique du sublime, dépassement et envol dans l’émotion artistique. De nouvelles valeurs s’affirment, qui refusent la tradition, valorisant la création individuelle et même irréfléchie. Un nouveau goût s’impose, comme on le voit en peinture : composition dramatique et colorée, pathétique, forts contrastes, décors de ruines ou d’orages, paysages impressionnants (lacs, montagnes, tempêtes en mer, exotismes). Au théâtre, le drame se tourne vers le sentimentalisme, et la littérature exalte le moi (autobiographies, lettres, rêveries, etc.).

Contrecoup des excès du rationalisme des Lumières du XVIIIème siècle, une forme de superstition reprend vigueur. La littérature va inaugurer un retour au fantastique, c’est-à-dire à un mélange de réalisme et d’invraisemblance. L’exemple le plus typique est fourni par Jacques Cazotte (1719-1792). Son Diable amoureux raconte l’histoire d’un jeune homme initié à l’invocation des esprits, et poursuivi ensuite par le Diable sous la forme d’une jeune femme désirable et dévouée. Récit-cauchemar, mais sans cesse relié à des faits d’actualité, Le Diable amoureux fut pris très au sérieux par certains occultistes, qui y virent un manuel d’initiation. Cazotte, lui-même mystique, vit dans la Révolution, l’œuvre du Diable ; elle le guillotina, ce qui ne dut pas le faire changer d’avis !

 

L’irrationnel se rattache ainsi facilement à la fascination exercée par le mal. Le « satanisme », cher au fantastique, combine cette double tendance. La France subit ici l’influence du « roman noir » anglais. Les grands succès de l’époque sont les romans d’Horace Walpole (Le Château d’Otrante), Ann Radcliffe (Les Mystères d’Udolphe) et surtout Matthew-Gregory Lewis (Le Moine). Ces récits ont pour thème des histoires de possession démoniaque, de châteaux hantés et de revenants. L’homme y est le jouet des forces du mal.

 

Publié dans français

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